Plus de 40 ans après sa disparition, Georges Pompidou continue d’incarner dans l’imaginaire national la figure de la modernité. Sous son mandat, de 1969 à 1974, la France connaît la croissance la plus forte d’Europe, tandis que le niveau de vie augmente de 25%. À travers son exemple, tentons de comprendre comment un leader peut faire entrer une société dans une dynamique de modernité.
Un profil atypique
Petit-fils de paysan, fils d’instituteur, agrégé de grammaire, Georges Pompidou n’était pas né pour devenir président. Comparé aux autres présidents, ce profil mais aussi son parcours détonne. Son succès au concours de l’Ecole Normale Supérieure le convainc de la force du travail et de la vertu de la ténacité. Peu comblé par une carrière d’enseignant en province, Pompidou demande une mutation à Paris. En 1944, il sollicite auprès d’un ami un poste auprès du gouvernement de la Libération. Sans forcer le destin, Pompidou sait préparer l’avenir.
Nommé chargé de mission au cabinet du Général de Gaulle, il tisse avec le leader de la France libre des relations de confiance. Plus qu’un collaborateur, Pompidou devient un homme de confiance, un intime. Il sait en apporter une plus-value aux idées gaulliennes, en évoquant les oppositions possibles, en suggérant leurs dangers et en proposant des modalités d’application. Après le départ du Général, Pompidou devient maître des requêtes au Conseil d’Etat. Hormis quelques rudiments acquis à Sciences Po, Pompidou ne connaît rien du droit. Mais il n’hésite pas à sortir de sa zone de confort. En quelques mois, il devient opérationnel, montrant sa capacité à prendre la dimension d’une fonction, avant de donner du sens à celle-ci.
A la recherche d’un nouveau challenge, Pompidou entre en 1953 à la banque Rothschild. De nouveau, il se distingue par son aptitude à assimiler de nouvelles compétences. Ayant acquis promptement les connaissances des techniques financières et commerciales, il remet à flot une société spécialisée dans le financement de l’import-export. Au sein de la banque, il s’intéresse davantage au secteur financier qu’au domaine proprement bancaire, séduit par les spéculations intellectuelles qu’exige la finance. Il sait donner à sa société un nouveau capital de confiance, une autre qualité de réflexion, qui ignore le détail, exclue l’accessoire pour se concentrer sur l’essentiel.
Le retour aux affaires de De Gaulle en 1958 lui fait quitter la banque pour six mois. Mais, refusant le portefeuille de ministre des Finances, Pompidou choisit de retrouver la Banque Rothschild. Il y restera jusqu’à sa nomination comme Premier Ministre en 1962. Perçu comme l’homme de la continuité, il est élu président de la République.
Créer les conditions de la croissance
Successeur du Général de Gaulle, fidèle collaborateur, Pompidou inscrit son mandat dans la continuité de la politique du fondateur de la Cinquième République. Lui aussi veut la grandeur de la France. Il sait toutefois qu’il ne possède pas la carrure de son prédécesseur. Pompidou n’a rien d’un commandeur. Plutôt qu’un grand dessein, Pompidou se fixe donc des objectifs précis, mesurés et mesurables. La France ne peut être une puissance mondiale sans une économie moderne et dynamique. Pour impulser la modernité, Pompidou se méfie de la réforme frontale qui brusque et divise. Cet homme de traditions sait que la société est fragile et que les pesanteurs sont fortes. Refusant le dirigisme, hostile à une puissance publique tentaculaire, le président confie à l’État un rôle mesuré : celui de créer des conditions propices.
Plutôt qu’un grand dessein, Pompidou se fixe donc des objectifs précis, mesurés et mesurables."
La construction de la puissance industrielle suit alors deux axes. Le gouvernement encourage d’abord les grandes sociétés à acquérir une dimension internationale. Les fusions sont favorisées. De grands groupes émergent dans l’aviation, chimie, électronique et électrique. Les secteurs de pointe (télécommunications, aéronautique…) ne sont pas négligés. Comme dans le nucléaire, le président souhaite que se développe un savoir-faire français, gage de l’indépendance. Si les échecs existent, comme pour le Concorde, force est de reconnaître que les succès sont nombreux. La France entre 1969 et 1972 est le champion de la croissance industrielle, certes derrière le Japon mais devant tous ses partenaires européens. Mais l’effort pompidolien ne se résume pas aux soutiens accordés aux entreprises.
Incarner la modernité
Pour Pompidou, la croissance se doit d’être partagée. Sous son mandat est ainsi adoptée la mensualisation des salariés. L’actionnariat salarial est encouragé. En janvier 1970, le SMIG devient le SMIC afin d’associer les employés aux fruits de la croissance. Peu à peu, Pompidou jette les bases d’un autre contrat social au sein des entreprises. Critiquée à gauche et à droite, cette politique, qui rappelle celle de la cogestion allemande ou du modèle scandinave, entendait substituer aux relations conflictuelles une organisation contractuelle. Elle demeure d’une étonnante modernité.
Pompidou est conscient que la modernité doit s’incarner dans un lieu. Le projet Beaubourg n’est pas seulement un musée mais un espace global pour toutes les formes novatrices de la création : arts contemporains, cinéma, musique et à recherche théâtrale. Le projet cristallise ainsi tous les enjeux du pompidolisme. Avec son urbanisme non conformiste, Beaubourg donne un visage à la France moderne et industrialisée. Le centre se propose ensuite de réconcilier les Français avec l’art de leur temps en comblant le fossé entre le grand public et la création contemporaine. Pompidou souhaite enfin combattre l’accès inégal à la culture et faire de ce musée un lieu populaire.
Pour ces raisons, il refuse de l’installer en périphérie parisienne comme le souhaitait André Malraux. Il entend au contraire l’édifier au cœur de la capitale. Pompidou met ainsi ce projet au service de sa politique de modernisation de Paris. Le plateau Beaubourg est disponible immédiatement. Y construire le musée permettra non seulement de rééquilibrer la ville mais aussi de ranimer un vieux quartier. Peu compris, critiqué sur sa physionomie, qualifié d’ « usine à gaz », de « verrue urbaine » ou de « raffinerie », le centre est malgré tout inauguré en janvier 1977. Le succès est au rendez-vous. Pensé pour 7 000 visiteurs par jour, Beaubourg en accueille plus de 20 000. Doté d’une collection imposante (5% des œuvres seulement sont exposés), le Centre Georges Pompidou est devenu un des grands lieux mondiaux de l’art contemporain, concurrent direct du MOMA de New York et la Tate Modern de Londres.
Georges Pompidou a refusé de réveiller la France de 1914, tout en sachant éveiller celle de 1974. Son action politique suggère la force de ceux qui se refusent d’être des hommes à préjugés et préfèrent s’affirmer comme des êtres à paradoxes. Bien qu’homme de traditions, Pompidou a su penser et mettre en œuvre la modernité.
À l’image de Pompidou, comment réformer et moderniser la structure et le fonctionnement d’une équipe ?
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Professeur agrégé et doctorant à l’EHESS, Yohann Chanoir s'intéresse à l'écriture de l'histoire par le cinéma. Il est auteur de nombreux articles scientifiques et grand public et de plusieurs ouvrages dont « Convaincre comme Jean Jaurès. Comment devenir un orateur d’exception », aux éditions Eyrolles.